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Dimanche 17 janvier 2010

Cela fait presque trois mois que je n’ai pas écrit sur ce blog inutile. J’ai l’impression de recoucher avec un ancien ex qui ne s’est pas vraiment lavé.

Au début de la semaine, j’ai acheté le journal, et pendant quelques minutes, je n’ai pas pu décrocher mon regard de sa Une. Hébétée, une femme au visage couvert de poussière et aux cheveux tachés de sang, les yeux fixés vers le point de vue, le corps à moitié enseveli sous les amas d’un béton friable, ce même béton de piètre qualité qui compose la majorité des murs de l’ancienne colonie, dont la capitale Port-Au-Prince n’est plus qu’une ruine fumante.

Les jours suivants, j’ai été agacé par le sensationnalisme du suivi des évènements, de ce journal comme de tous les autres; il s’agissait de savoir lequel allait rapporter les témoignages les plus émouvants, les photos les plus insoutenables, les cartes et graphiques les plus sophistiqués. Aujourd’hui, je crois que cet agacement se transforme peu à peu en affliction. D’ici quelques jours, quelques semaines au plus tard, les feuillets quotidiens auront complètement oublié cette part moisie de la galette des rois putride qu’est le Tiers-Monde. On s’émeuvra du prurit de Xavier Darcos, probablement, et les haïtiens, comme depuis des années, ne possèderont toujours rien, si ce n’est que leurs yeux pour pleurer.

Il n’est pas inintéressant de découvrir l’Histoire de ce pays, ancienne usine esclavagiste à ciel ouvert, qui s’est émancipé à la fin du XIX° siècle pour tenter une démocratie à la Française. Mais comme souvent sous ces latitudes, comme souvent lorsque la France en a eu fini avec ses colonies en n’y manifestant plus qu’un intérêt économique, quand il lui est encore possible d’y pomper un peu plus d’argent, en Haïti se sont succédées les pires dictatures, dévastatrices, expliquant aujourd’hui l’étendue des dégats et des victimes, les infrastructures publiques étant aussi inexistantes là-bas qu’il n’y a de pluie au Sahel.

Drôle de vision que ce nouveau Paris, auparavant gêné par la neige, maintenant lavé par la pluie. En Hiver, les Parisiens sont souvent sombres, j’entends sombre par la manière dont ils s’habillent: grand trenchs noirs, longues robes en laine grise, il y a peu de place pour la fantaisie. Je le vérifie souvent quand je m’entretiens avec des non-français, d’Europe ou d’un peu plus loin, qui s’en font parfois la réflexion et qui s’extasient devant ma résistance colorée à la morosité vestimentaire.

http://www.juliendugue.com/images-wordpress/paris-neige-noir-et-blanc.jpg

http://www.juliendugue.com/images-wordpress/paris-neige-noir-et-blanc.jpg

Cependant quand reviennent les beaux jours, quand Paris est irradiée de soleil et se transforme en un ersatz continental de Marseille ou d’Alger, il n’est pas forcément rare, au détour d’une petite rue étouffée par la chaleur, de croiser un quelconque quidam au t-shirt bariolé, ou une élégante pimbêche affublée d’une jupe chamarrée stimulant la persistance rétinienne. On dirait qu’en hiver les gens et Paris veulent faire la gueule en même temps.

Vendredi soir. L’entrée d’un club nouvellement à la mode depuis quelque temps. Une djette française auparavant spottée à Berlin et de retour en France depuis deux ans, y a élu résidence, l’explication rationnelle à la petite foule amassée sur le trottoir. On se pousse, on fume, on éructe, on boit, on gruge, on se faufile, de rares élus fendent le groupe et embrassent d’un air faussement mondain les physios avec qui ils échangent quelques mots d’un intérêt incertain. Pas sûr qu’ils savent eux-même de qui il s’agit, en attendant, les clubbers entrent au compte-goutte, la situation est très agaçante, il fait froid, une petite pouffiasse fait son cinéma en geignant et en sanglottant, pensant éventuellement émouvoir les tôliers qui n’en ont apparemment rien à carrer. J’aurais l’air d’un immonde réactionnaire en énonçant un douteux parallèle avec un pays comme, tiens, justement, Haïti, où l’on croirait qu’un staff humanitaire distribue quelques galettes de boue à un groupe de sinistrés faméliques mais que l’offre est excessivement restreinte.

Mais j’avoue que l’idée m’a traversé l’esprit, en m’éloignant vers le métro, en tentant de rouler une clope de mes doigts engourdis.