Tu risques de te faire pincer très fort!
Mardi 19 avril 20111987 voit la naissance d’Ellen Page, actrice canadienne dont la moue fadasse arborée dans Inception qui l’est tout autant vous fera préférer son ingénuité perverse dans Hard Candy, l’un des meilleurs films de la décennie écoulée. Il est à noter que Jena Lee, chanteuse emo’nb (WTF ?), est née la même année, ce qui me fait penser que rétrospectivement, certaines personnes auraient dû en profiter pour faire valoir ce droit formidable qu’est l’interruption volontaire de grossesse.
1987 c’est également l’année de la création de « Piss Christ », une photographie de 59,7×40,6 de l’artiste américain Andres Serrano représentant un crucifix baignant dans un récipient rempli de l’urine de l’artiste, et exposée deux ans plus tard au Southeastern Center for Contemporary Art de Winston-Salem, en Caroline du Nord.
Inutile de préciser que lors de sa présentation au public, elle suscita l’indignation de divers groupes religieux, ainsi que de certains sénateurs parce que l’artiste avait profité des subventions du National Endowment for the Arts, une agence fédérale chargée d’aider les institutions culturelles et les artistes américains.
Qui est Andres Serrano ?
Un photographe américain, donc, d’origine sud-américaine et célèbre pour son travail sur le corps, la mort, ou encore la religion.
La religion, catholique en l’occurrence, dans laquelle il fut baigné durant toute son enfance et qui influence plus ou moins généralement ses œuvres.
La série la plus connue et certainement la plus saisissante étant The Morgue, des clichés de détails de corps mutilés, brulés, livides, se référant clairement au romantisme morbide du XIX° siècle et sa fascination pour la mort, ainsi qu’à mon sens à certains détails de tableaux espagnols de la même époque.
Intéressant, ce Serrano. Et brillant.
Magnétisé par la culture religieuse que lui a inculquée sa famille afro-cubaine, Andres se définit comme un artiste chrétien, et à ce titre s’autorise à explorer, exploiter, triturer ce thème aux possibilités infinies, évoquant d’ailleurs la présence d’œuvres sacrées de la Renaissance dans son logis new-yorkais.
Depuis quelque jours, de virulentes manifestations avaient lieu dans les entourages géographiques immédiats de la galerie Yvon Lambert, petit musée privé d’art contemporain à Avignon, Vaucluse, France.
Pour les dix ans de sa collection est organisée l’exposition « Je crois aux miracles », qui reprend par exemple plusieurs œuvres d’Andres Serrano comme la série The Church, et bien entendu le dorénavant célèbre Piss Christ.
Ces manifestations ont connu leur point d’orgue lorsque dimanche 17 Avril, un groupe de militants catholiques (très) conservateurs se sont introduit dans le petit musée après nombre insultes racistes à l’encontre du personnel, pour aller briser la gangue de plexiglas qui entourait l’œuvre à l’aide de marteaux qu’ils avaient dissimulés sous leurs habits. Notons au passage que la deuxième photo ayant subi dégradations est une inoffensive figuration d’une nonne priant dans une église parisienne.
Ces actes de vandalisme pur et simple font suite à toute une série de protestations individuelles plus ou moins fédérées, ainsi que celles de l’épiscopat catholique qui demandait le retrait de la photographie incriminée.
Les manifestations étaient, entre autres, organisées par l’institut Civitas, mouvement dont la motivation principale est la « restauration de la royauté sociale de notre Seigneur Jésus-Christ » (sic). Un petit tour sur leur site internet à la sobriété eucharistique donnera au lecteur un aperçu des préoccupations fondamentales de ce groupuscule dont les affinités avec certaines mouvances politiques, officielles ou non, me laissent songeur. Voire pantois. Voir un peu énervé quand même.
Enervé parce que la raison principalement évoquée par le susnommé institut (lol) et son petit réseau de réactionnaires obtus est la christianophobie ambiante, qui représenterait une menace de plus en plus grandissante dans notre si beau et si pieux pays.
Les catholiques peuvent avoir toutes les raisons du monde à être choqués par Piss Christ.
L’art est une émanation de l’âme humaine qui n’a pour but que d’interroger cette dernière, et une absence manifeste de culture artistique a empêché ces assaillants ridicules d’envisager la photo honnie dans l’ensemble de la série qui y était présentée. Et qui a pour particularité, effectivement, de proposer une vision toute personnelle non pas de la religion en elle-même, sinon de la religiosité.
Comme Serrano le rappelle judicieusement dans une interviewe donnée à Libération ce mardi 19 Avril, ce n’est pas à l’artiste d’expliquer son œuvre, sinon elle n’est plus art mais propagande.
Ces exaltés ne se sont d’ailleurs même pas posé la question de savoir si l’artiste ne pouvait pas être de leur côté. Si, comme ils le prétendent, la chrétienté est aujourd’hui menacée par toutes sortes de comminations plus ou moins réelles, Piss Christ ne représenterait-il pas le traitement infligé au Christ, dans ce 21° siècle balbutiant et particulièrement dénué de toute spiritualité ?
Ce n’est bien sûr qu’une piste, mais il m’apparaît que la crétinerie de certains individus se prétendant défenseurs d’une cause, qu’elle soit religieuse, politique, philosophique ou que sais-je, devraient s’attaquer à leur cible en connaissance de cause, et au moins en employant les mêmes référents et les mêmes outils que les horribles artistes blasphémateurs qu’ils prétendent combattre.
Je me fous de la religion, qu’on veuille porter le voile, marcher sur des braises ardentes, monter un chemin de croix sur les genoux ou se faire couper le bout de la bite au nom de ses croyances.
Mais j’aimerais bien que chacun reste à sa place et utilise le dialogue et l’écoute pour faire valoir son point de vue, expliquer son opposition, ou bien, à l’extrême, saisir les autorités compétentes dans ce genre de conflit. C’est ce qu’on appelle vivre ensemble, dans un pays libre où chacun peut exprimer ses idées et faire valoir ses droits.
Mais bon, je dois certainement croire en Dieu.
D’autant que je n’arrive pas à m’enlever de la tête que cet évènement est le fruit pourri issu de nombre précédentes gesticulations politico-opportunistes de notre gouvernement, celui d’en France.
Il est à noter que dans les années 80, les polémiques américaines autour de Piss Christ sont retombées peu de temps après comme un soufflé. Auparavant montrées en France, comme à Beaubourg et déjà à Avignon dans la même galerie, ces séries n’avaient pas provoqué le moindre remous. Quelques groupes de têtes rasées en avaient vandalisé à Lindl, en Suède, en 2007.
Mais en France ces débats pénibles et inopportuns sur la laïcité ou l’identité et les sorties délirantes de tout un tas de représentants officiels n’ont eu pour effet volontaire que de mettre les composantes de notre nation dos à dos, y installant sciemment un environnement de violence larvée.
C’est pourquoi il n’est vraiment pas étonnant que dans les espaces vides ainsi créés s’y engouffrent toutes sortes de mouvances malfaisantes pour hurler au loup et à la décrépitude de notre beau pays dont l’ennemi intime seraient , entre autres, l’Islam et ses démons, renvoyant en pleine face cette de cette 5° république moribonde l’image de son propre échec, et dont la seule réaction est une fuite en avant toujours plus rapide et toujours plus dramatique qui me fait parfois penser que ce pays que j’adore est irrécupérable.
Sinon, écouter Mit me paraît être une très bonne idée.