Prière de tenir la main courante.
De doux souvenirs me serrent la gorge à l’heure où j’écris ces lignes et que vous lirez certainement d’un œil désintéressé.
Votre cher ami, fournisseur officiel de billets d’humeur relativement diffus, a fait quelques années d’études. Il est à noter qu’avec le recul son caractère masochiste est absolument certain, puisqu’ayant détesté l’école pendant dix-huit longues et douloureuses années il s’en est infligé trois de plus dans divers lieux géographiques.
Après le bac, Guilvic s’est donc rendu à Rennes, capitale de la Bretagne, disposant de l’une des Universités les plus réputées de France, à l’époque où les Universités étaient encore réputées. Villejean, écrin d’architecture cramoisie, de campus à l’herbe rase et brune, entouré de l’un de ces nouveaux quartiers rennais qui ont profondément défiguré la ville au cours des trente dernières années, la découverte émouvante d’un monde jusqu’alors ignoré de moi, mélange de petites meuffes en sarouel à vélo, de grands hippies hirsutes jonglant et déclamant des poèmes au beau milieu de petits groupes d’étudiants-enfants ne réalisant pas qu’ils ont quitté le lycée, des amphis bondés lors de la pré-rentrée, déserts à mesure que l’année avance, des agents administratifs dépassés, des Erasmus sexy en diable, de l’alcool sous les colombages de la place Sainte Anne, et les grands instants d’émulation politico-tarfouffe: les manifs.
Le climat politique de cette douce période était pour le moins assez perturbé. Tout juste commencions-nous à découvrir la vie sous l’ultra-droite, autant vous dire que pour une personne délicieusement bercée toute son enfance dans de subtils idéaux gauchistes, l’ambiance était assez particulière. Puis, émanant des arcanes rances et impénétrables des administrations, l’on décida de réformer en profondeur les diplômes, à une échelle européenne. Ce qui ne plut pas. Ce qui provoqua un émouvant mouvement unitaire, dans lequel je fus plongé et tentai de surnager.
C’est une étrange expérience que d’entrer la première fois dans un amphi pour la première des A.G qui décidera de la forme du mouvement. En général, elle ne décide de rien du tout, si ce n’est de confirmer que tout le monde est d’accord pour se mettre en grève. Je ne veux pas jouer le jeu fétide d’une certaine mouvance idéologique, car en général, ces réunions sont assez riches en débats et en rebondissements. D’un cliché d’une jeunesse révoltée pour rien, pour tout ou tout du moins pour pas grand chose, on découvre certains éléments très intéressants, à l’argumentation solide, autant que leur connaissance des enjeux en question et des rouages des politiques, nationales ou plus globales. La richesse des échanges qui y ont lieu sont tout à fait exaltants, scandés dans un vieux micro qui crachote, et la Résistance s’organise, à base de mains levées et de bulletins affichés dans les moindres recoins des bâtiments.
Au fil des jours, ceux-ci sont investis pour la moindre raison. Dans les couloirs, des ateliers sont organisés, on peint des pancartes étrangement ressemblantes à certaines icônes d’un certain événement pré-seventies, chaque amphi se voit muté en « comité »: comité d’action, comité de relations presse, comité d’encadrement… Lorsqu’il arrive qu’un cours soit maintenu, il n’est pas rare que celui-ci se voit entrecoupé d’interventions diverses, de l’annonce de la manifestation de l’après-midi à la pure agitation informelle pas vraiment opportune. Un village associatif prend ses quartiers dans un coin inusité du campus, les bâtiments sont occupés la nuit, on fume dedans, dehors, des punks à chien investissent les réunions, des anars sur le retour prennent part aux débats, souvent pour le pire.
Et puis un flottement s’empare du corps de votre aimable interlocuteur. Ayant toujours été d’une nature désinvolte, mâtiné d’une oisiveté presque maladive, il était tout à fait prévisible que je sombre. Est-ce par lâcheté que je décidai de ne pas m’impliquer du tout dans ce qu’il se passait autour de moi, préférant regarder des DVD dans ma modeste chambrette jouxtant le périphérique du côté de Kennedy, écouter les Smashing Pumpkins dans la cité U post-soviétique Anjou avec une rousse d’affection et aller boire des coups à la terrasse du Tchick en sa compagnie, fuyant mon UED de Géographie et mon option Allemand version? Je ne crois pas. Par paresse, sans doute, et pour le coup, je ne renie pas cette douce année septentrionale, j’y jette parfois un regard mélancolique, et je pleure, en silence, en me caressant doucement l’avant-bras. Nan, je déconne.
Je vais essayer de conclure comme je peux. Il faut cesser d’avoir peur, cesser d’être mièvre et oser affirmer haut et fort: oui, il faut croire à la réhabilitation du croc de boucher. Si j’étais délégué au comité du croc de boucher, le premier à en faire les frais serait sans aucun doute Brice Hortefeux. Vous connaissez sans doute mon aversion pour cette fricadelle ambulante, et une petite recherche sur internet te permettra aisément de comprendre pourquoi je préconise le châtiment suprême pour ce misérable personnage.
Si je le prenais sans humour, sans doute que je me flinguerais. Ou que j’émigrerais en Belgique. Ou en Lituanie. Pour vivre en-dedans de la France ces jours-ci, il faut une bonne dose de distanciation. Ou de Lexomil. Pas étonnant qu’on soit le premier pays au monde à se shooter quotidiennement.
Éventuellement une bonne corde. Mais je vais attendre les soldes de janvier chez Leroy-Merlin, parce que faut pas déconner.
Sinon j’ai offert une place de cinéma à Jean Douchet. Et ouais, je peux moi aussi me la doser, parfois.